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"101 Mots de l’Economie Circulaire dans l’Immobilier et le Bâtiment à l’usage de tous"

Le mot de Noé Bash et Aurélien Furet : Industrialisation


crédit photos : Marie Moroté


Si les vertus du réemploi de matériaux de construction ne sont plus à démontrer (réduction des déchets, limitation des consommations d’énergie, de matière et donc d’émissions de carbone), actuellement, un des freins à son développement est son coût.


Un produit neuf est le fruit de la transformation de matières premières issues de l’écorce terrestre. Son mode de production s’appuie sur une automatisation optimisée par plusieurs décennies d’exploitation et d’expérience, avec comme prisme central, la réduction des coûts et intrinsèquement la maximisation des profits. Il recourt massivement aux énergies fossiles pour la génération desquelles personne n’a dépensé le moindre centime.


Le réemploi, c’est de l’emploi ! Il faut des bras, des yeux et du temps pour déposer, transporter, reconditionner ces matériaux. Le ratio est éloquent en ce qui concerne le produit que nous traitons : il nous faut 9 personnes pour produire autant que 2 dans le neuf.


Lorsque l’on sait que le prix du kWh actuel est environ 300 fois moins cher que celui qui serait produit à la sortie d’une dynamo actionnée par un salarié français au SMIC, on comprend vite que le prix d’un matériau reconditionné ne peut être inférieur à son équivalent sur le marché du neuf.


Face à une demande massive, la mise sur le marché de produits reconditionnés comme ceux de Mobius, requiert une solution identique à celle des produits neufs : l’industrialisation, la production de biens en grande quantité.


Ainsi, en maximisant les volumes traités, nous amortissons plus rapidement les investissements, en itérant les processus, nous gagnons en productivité, en affinant nos coûts de consommables, nous améliorons notre rentabilité. Et, au « détail » près de l’énergie que nous utilisons également, la comparaison avec l’industrie du neuf s’arrête ici.


Pas de passation commande de matière première en un clic, mais un travail du quotidien, technique et humain pour sourcer, dénicher le chantier de déconstruction qui détient la ressource convoitée.


Pas de machines pour déceler le gonflement, la nature et la quantité de colle, la déformation légère et néanmoins intolérable, mais des hommes et des femmes au regard aiguisé et aux mains habituées.


Pas de matière première homogène, lisse et bien emballée mais des produits qui ont vécu, différemment impactés par leur utilisation précédente, qui nécessitent d’être finement inspectés, contrôlés, quasiment à l’unité.


Pas de savoir ou d’abaque hérités d’une longue expérience dont les bases sont très souvent reproductibles d’un secteur industriel à l’autre, mais une recherche constante, empirique, qui aboutit à un mix technologique simple et sobre, du détournement de machines-outils à la gestion de stocks « potentiels ».


Pas de marché, et donc une nécessité d’acculturation, du sourcing à la vente, avec son lot d’effets pervers.

 

Il y a 5 ans, expliquer à une entreprise de démolition que nous collections gratuitement des éléments destinés à l’élimination, tout en réduisant leurs coûts, nous faisait passer pour de gentils idéalistes sans avenir économique. Aujourd’hui, ces mêmes entreprises acceptent de ne plus être payées pour déposer certains matériaux, tant leur valeur sur le marché de la seconde main est devenue financièrement importante et cruciale pour la réduction de l’impact carbone de la construction.

Il y a 5 ans, expliquer aux entreprises de construction que passer une commande d’un produit reconditionné - dont l’apport en matière première n’était pas maîtrisable - ne pouvait se faire de la même manière qu’à leur habitude, nous reléguait à un manque de professionnalisme absolu. Aujourd’hui ces mêmes entreprises nous accompagnent dans le sourcing et convainquent leurs clients de modifier à la marge certaines spécifications, d’aménager les plannings, de concevoir autrement pour faciliter l’insertion du réemploi.

 

C’est une grande partie de la chaîne de valeurs du secteur industriel qui est remise à plat, requestionnée et équilibrée entre fabricants et clients.

 

Sans verser dans une sémantique galvaudée qui crie agilité d’un côté, flexibilité de l’autre, c’est de cette industrie-là dont nous sommes, avec d’autres, les pionniers, les défricheurs. Et l’augmentation continue des prix des matériaux, nourrie par la finitude des énergies fossiles et des ressources naturelles, milite en faveur de ce scénario.


En nous appuyant sur un modèle industriel de production, nous résolvons - en partie - le problème avec la méthode même qui nous a conduit à son émergence. En jouant légèrement sur les mots, nous pourrions dire qu’il s’agit là plus d’une désindustrialisation globale en faveur d’une re-production locale de biens existants à haute valeur ajoutée, délaissés par une culture économique ignorante de son impact, phénomène qui conduira à son propre déclin.


Le coup d’après sera de penser et concevoir les futurs produits neufs - il y en aura toujours - dans un esprit de sobriété, de réparabilité, d’allongement du cycle de vie et probablement de standardisation. Et pour cela, il faudra consentir à gagner moins et moins vite parce que l’on aura redistribué de la valeur, redonnant au travail le fruit de ses résultats, et pas seulement financiers.


Il reste encore du chemin, beaucoup, et ici pas de Licorne – pas assez de rentabilité pour les investisseurs, pas de scaling-up – on ne traite que ce qui est disponible, mais des emplois, une réappropriation de la matière et des moyens de production, de l’émancipation.


C’est un projet de société.


Cet article est à retrouver dans le livre "101 Mots de l’Economie Circulaire dans l’Immobilier et le Bâtiment à l’usage de tous." édité par Archibooks.

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